5 December, 2019
Les dirigeants africains devraient attirer l’attention sur la pression qu’exerce la Tanzanie sur les réfugiés en vue de leur retour au Burundi
DÉCLARATION CONJOINTE D’ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
À l’approche du Dialogue de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur les déplacements des populations qui doit se tenir du 4 au 6 décembre en Ouganda, des ONG africaines et internationales appellent les dirigeants africains et les organisations régionales à prier instamment le gouvernement de la Tanzanie de cesser de faire pression sur les 163 000 réfugiés et demandeurs d’asile pour qu’ils retournent au Burundi, où des violations graves des droits humains continuent d’être commises contre des sympathisant·e·s déclarés ou présumés de l’opposition, notamment des réfugié e·s qui sont rentrés au pays.
Des centaines de milliers de réfugiés ont fui le Burundi à la suite de la crise politique qui a éclaté en 2015 et qui a conduit à des violences politiques et à des violations graves des droits humains. La Tanzanie accueille actuellement le plus grand nombre de ces réfugiés et devrait être félicitée pour leur avoir ouvert les portes.
Toutefois, de hauts responsables du gouvernement tanzanien ont maintes fois fait subir des pressions aux réfugiés burundais pour qu’ils rentrent chez eux. Le président John Pombe Magufuli a d’ailleurs lancé un de ces appels le 11 octobre en déclarant que les réfugiés burundais doivent « rentrer chez eux ». Un accord conclu le 24 août entre la Tanzanie et le Burundi prévoit également que les réfugiés « doivent rentrer dans leur pays d’origine de façon volontaire ou non » d’ici le 31 décembre. Jusqu’à présent, près de 80 000 réfugiés sont rentrés avec l’assistance financière et logistique du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans le cadre du programme de « rapatriement volontaire » conclu entre le Burundi, la Tanzanie et le HCR en septembre 2017.
Le gouvernement tanzanien a fortement limité les conditions d’asile, le droit de circuler librement et les opportunités économiques des réfugiés burundais. Les réfugiés qui se sont risqués à sortir des camps de Nyarugusa, de Nduta et de Mtendeli pour subvenir à leurs besoins quotidiens ont parfois été arrêtés et placés en détention par les forces de sécurité tanzaniennes. De nombreux réfugiés de retour au Burundi citent les difficultés de la situation humanitaire comme l’une des raisons pour lesquelles ils sont rentrés. Les organismes des Nations unies et les organisations non gouvernementales ont vu diminuer fortement leur capacité à agir dans les deux pays et font face à des difficultés pour vérifier de façon indépendante la nature volontaire de ce processus de rapatriement.
Ce processus conduisant à ce que les réfugiés rentrent au Burundi et mené par les autorités tanzaniennes correspond aux mesures qui avaient été précédemment mises en place pour environ 38 000 réfugiés burundais du camp de Mtabila, lesquels avaient fui le Burundi dans les années 1990 et qui s’étaient vu retirer leur statut en 2012. Cela avait donné lieu à un retour forcé des réfugiés au Burundi. Certains responsables ont récemment menacé de recourir aux mêmes mesures à l’encontre de celles et ceux qui refusent de rentrer au Burundi.
La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention de 1969 de l’OUA relative aux réfugiés interdisent le refoulement, à savoir le retour de réfugiés de quelque manière que ce soit vers des territoires où leur vie ou leur liberté serait menacée. Selon le HCR, il y a refoulement non seulement lorsqu’un gouvernement expulse ou refoule directement un réfugié, mais aussi lorsqu’une pression indirecte est exercée de façon si forte qu’elle laisse croire aux personnes qu’elles n’ont pas d’autres options que celle de rentrer dans un pays où elles risquent de subir des préjudices graves.
Malgré des situations de solidarité exemplaire au Burundi, les réfugiés qui sont rentrés au pays ont été victimes d’exclusions et d’atteintes aux droits humains commises par les autorités locales ou par des membres des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir. Des études ont montré que les réfugiés qui retournent dans leur pays risquent d’être perçus comme des sympathisants de l’opposition parce qu’ils avaient auparavant fui le pays. L’obligation de rendre des comptes en cas d’atteintes aux droits humains n’existe quasiment pas au Burundi. De plus, les réfugiés de retour chez eux n’ont que peu de possibilités pour exprimer leurs doléances, compte tenu des restrictions générales sur les libertés publiques, notamment à l’approche des élections de 2020. Les réfugiés de retour au pays ne bénéficient que de très peu d’assistance humanitaire et d’aide au développement, ce qui génère des obstacles pratiques supplémentaires en vue de la réinsertion.
Jusqu’à présent, ni l’Union africaine, ni la Communauté d’Afrique de l’Est, ni la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, ni des gouvernements africains n’ont fait de déclaration publique demandant que les gouvernements de la Tanzanie et du Burundi fassent en sorte que tout retour soit réellement volontaire et mené en toute sécurité et dans la dignité.
Le Dialogue de haut niveau sur le thème de l’année 2019 de l’Union africaine : « Année des réfugiés, des rapatriés et des personnes déplacées internes : Pour des solutions durables au déplacement forcé en Afrique » est une bonne occasion de briser ce silence.
Les représentants des organisations régionales africaines et des gouvernements africains doivent saisir cette opportunité offerte par le Dialogue de haut niveau pour faire du thème annuel de l’Union africaine une réalité tangible pour les réfugiés burundais. Ils doivent obtenir de la part du gouvernement tanzanien l’assurance qu’il respectera la nature volontaire du processus de retour des réfugiés, qu’il maintiendra l’espace d’asile ouvert et qu’il cessera de recourir à une quelconque pression envers les réfugiés qui souhaitent rester. Les organes de l’UA et les instances sous-régionales africaines doivent appeler les acteurs africains et internationaux à soutenir les réfugié·e·s qui décident de rester en exil ainsi que celles et ceux qui veulent rentrer et se réinsérer au Burundi.
La dénonciation de la situation qui prévaut en Tanzanie montrerait que les institutions africaines, 50 ans après l’adoption de la Convention africaine relative aux réfugiés, ne détournent pas le regard lorsque les droits des réfugié·e·s et de celles et ceux qui retournent dans leur pays d’origine sont menacés.
Signataires
- Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture – Burundi (ACAT-Burundi)
- AfricanDefenders (the Pan-African Human Rights Defenders Network)
- African Youth Action Network
- Amnesty International
- Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues (APRODH)
- Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International Commis au Burundi (CAVIB)
- DefendDefenders (East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project)
- East African Centre for Forced Migration
- Forum pour le Renforcement de la Société Civile au Burundi (FORSC)
- Human Rights Watch
- International Refugee Rights Initiative
- National Coalition of Human Rights Defenders – Burundi (CBDDH)
- Observatoire de la Lutte contre la Corruption et les Malversations Économiques (OLUCOME)
- Réseau des Citoyens Probes (RCP)
- SOS-Torture/Burundi
- Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains (ROADDH)
- SOS-Torture/Burundi